Le numérique et les enfants : Pour une approche intergénérationnelle d’émancipation

Par un informaticien passionné, père et défenseur d’une éducation numérique raisonnée

Qui je suis et pourquoi cette vision compte

Je suis informaticien. J’aime les nouvelles technologies non pas comme des gadgets ou des distractions, mais comme des outils d’émancipation. Pour moi, le numérique représente la possibilité d’apprendre sans limite, de toujours trouver des solutions, de créer concrètement, d’apprendre en autonomie sur tous les sujets qui m’intéressent à des niveaux que je ne peux pas atteindre dans mon entourage proche. C’est aussi un moyen de faire des connaissances authentiques avec de vraies personnes via les réseaux.

Mais attention : je traite les gens sur les réseaux sociaux comme dans la vraie vie. Je dois apprendre à faire confiance, et je ne peux pas le faire sans avoir vu, rencontré ou fait une visio en vrai avec ces personnes. J’ai besoin du contact physique ou visuel réel - le reste, c’est du “bruit de chiottes”, et dans mon monde, on n’en tient pas compte.

Cette approche nuancée me place dans une position particulière face au débat actuel sur les enfants et les écrans. Ni technophobe, ni naïf, je propose une troisième voie.

Le faux débat : pour ou contre les écrans ?

Le débat public semble polarisé entre partisans et détracteurs des écrans pour enfants. D’un côté, les alarmistes brandissent les chiffres : “En 2025, les enfants français de 6 à 17 ans passent en moyenne 4 heures et 11 minutes par jour devant un écran”. De l’autre, certains minimisent les risques au nom de la modernité.

Pourtant, les experts nous montrent une voie plus nuancée. L’UNESCO le dit clairement : “Nous devons apprendre aux enfants à vivre à la fois avec et sans technologie ; à piocher ce dont ils ont besoin dans la masse d’informations disponible, mais à laisser de côté ce qui n’est pas nécessaire”.

Le vrai enjeu n’est pas de diaboliser ou d’idéaliser les écrans, mais d’apprendre à maîtriser ces outils.

Ma conviction : l’éducation numérique précoce et critique


Démystifier le “digital native” : l’expérience ne s’improvise pas

Contrairement aux idées reçues, “l’utilisation et la prégnance des outils numériques dans le quotidien des enfants et des adolescents ne sont pas corrélées à leurs compétences numériques”. Nos enfants ne sont pas des génies du numérique par magie. Ils ont besoin qu’on leur enseigne.

Mon histoire personnelle illustre parfaitement ce point. Né en 1978, j’ai eu la chance que mon père ramène très tôt un ordinateur dans notre famille - un TI-99 où je codais mes premiers jeux en BASIC. J’ai eu plus de 30 ans pour apprendre pas à pas le numérique, et c’est là toute la différence : les théories fondamentales de la plupart des technologies utilisées aujourd’hui n’ont pas changé. Le réseau IP (base d’Internet), les principes de codage, la gestion des documents, le clavier, la souris… J’ai pu tranquillement, au fil des années, monter en compétences à mesure que ces technologies évoluaient.

Cette progression organique ne se remplace pas par un apprentissage accéléré de 2 ans ! J’ai appris à la vitesse de sortie des nouveautés : du Minitel aux réseaux satellites, du téléphone à cadran aux mobiles connectés. Chaque innovation s’appuyait sur les précédentes, créant une compréhension profonde et durable.

Nos enfants d’aujourd’hui sont bombardés par des interfaces ultra-sophistiquées sans avoir eu le temps d’en comprendre les fondements. Ils manipulent intuitivement, mais ne maîtrisent pas vraiment. C’est exactement pourquoi ils ont besoin qu’on leur enseigne les bases - pas juste l’usage, mais la compréhension.

Je crois fermement qu’il faut apprendre le numérique dès le plus jeune âge, mais pas n’importe comment :

  • Apprendre à s’arrêter et se déconnecter (même au milieu d’une partie de jeu - c’est du virtuel, ça ne changera pas le monde)
  • Comprendre et respecter ses besoins primaires (boire, manger, dormir, socialiser)
  • Développer un esprit critique face aux contenus et aux mécanismes de captation d’attention

Une éducation technique et humaine

Il faut que nos enfants comprennent comment ça fonctionne pour être prêts à faire leurs choix :

  • Démonter un ordinateur
  • Coder leurs premiers programmes
  • Comprendre le fonctionnement et les buts des réseaux sociaux (spoiler : faire de la pub pour vendre)
  • Maîtriser les outils plutôt que d’en devenir esclaves

Mais au-delà de la technique, il y a l’éthique. Dans ma famille, j’ai une règle de vie unique qui s’adapte partout, y compris sur les réseaux sociaux : “On ne fait pas à quelqu’un ce qu’on aimerait pas qu’on nous fasse.”

Cette règle simple permet à mes enfants de rester maîtres de leurs publications et interactions numériques. Avant de poster quelque chose, ils se demandent : “Est-ce que ça m’embêterait si on me faisait ça ?” Je connais peu de gens qui apprécieraient qu’on les publie aux yeux de tous dans une situation gênante, qu’on partage leurs secrets, qu’on pirate leur compte, ou qu’on les harcèle en ligne.

Cette approche évite la plupart des dérives numériques et développe naturellement l’empathie digitale - une compétence cruciale à l’ère des réseaux sociaux.

Cette approche rejoint les recommandations d’experts qui prônent “faire intervenir suffisamment tôt l’apprentissage au numérique (dès l’école élémentaire)”.

L’école face au défi numérique : un système dépassé ?

Soyons honnêtes : l’école n’est pas adaptée à l’apprentissage du numérique actuel. Il y a une dimension technique, une dimension humaine, et beaucoup d’éducateurs sont dépassés par le numérique. Certains ont même peur que les enfants connaissent mieux et soient plus forts qu’eux en informatique.

Les recherches le confirment : “La formation au numérique des élèves reste aujourd’hui à la fois trop fragmentée”.

Cette situation crée un paradoxe : nous laissons nos enfants face aux écrans sans les former vraiment à les comprendre et les maîtriser.

Pas tous les écrans égaux : distinguer l’outil de la distraction

Je pense que les consoles de jeux et les jeux débilitants nuisent au numérique et sont souvent les cibles principales des interdictions. C’est dommage car cela occulte le potentiel formidable des vraies applications éducatives.

Les études le montrent : “L’utilisation de jeux vidéo éducatifs spécifiquement développés pour développer la numératie est associée à des bénéfices d’un point de vue de l’apprentissage alors que les résultats concernant l’utilisation des jeux vidéo en général sont associés négativement aux mesures d’apprentissage”.

Mon approche du jeu vidéo avec les enfants

Il faut jouer avec nos enfants aux jeux vidéo et leur apprendre :

  • Les jeux coopératifs plutôt que compétitifs
  • Les jeux constructifs (comme Minecraft)
  • Les jeux de stratégie qui développent la réflexion
  • L’esprit d’équipe et la communication

L’opportunité intergénérationnelle : construire ensemble

Des espaces de rencontre authentiques

Le numérique peut devenir un formidable pont intergénérationnel si nous l’abordons correctement. Imaginez :

  • Des LANs Minecraft familiales où parents et enfants construisent ensemble des mondes, apprennent la coopération, la gestion de projet, la créativité
  • Des ateliers de démontage/remontage d’ordinateurs où grands-parents, parents et enfants découvrent ensemble comment fonctionne la technologie
  • Des sessions de programmation collaborative où chacun apporte ses compétences et sa curiosité

L’échange d’expériences entre parents

Soyons honnêtes, chers parents : vous êtes souvent dépassés et vous avez peur de montrer à vos enfants qu’ils vous dépassent sur des sujets dès 5 ans ! 😊 Ce sentiment n’est pas agréable, je le comprends parfaitement.

Mais moi, je trouve qu’avoir des enfants qui ont des connaissances plus avancées sur un sujet qui les intéresse (et que moi, non) n’est pas un souci, c’est une opportunité d’échange formidable. On s’en fiche de qui est “le sachant” dans l’histoire ! (Note pour les instituteurs et personnes de l’Éducation nationale : c’est aussi valable pour vous)

Cette acceptation libère des possibilités extraordinaires. Nous devons créer des espaces d’échange entre parents sur les pratiques numériques :

  • Partager nos découvertes d’applications éducatives (et nos échecs aussi !)
  • Discuter ouvertement de nos règles familiales et de leur efficacité réelle
  • Organiser des activités numériques communes entre familles où les rôles s’inversent
  • Créer un réseau d’entraide pour naviguer ensemble dans ce monde digital
  • Assumer nos lacunes et apprendre de nos enfants sans complexe

La socialisation réinventée

Contrairement aux craintes, le numérique peut renforcer la socialisation si on l’utilise bien. Mes enfants peuvent :

  • Collaborer sur des projets créatifs avec des jeunes du monde entier
  • Apprendre des langues en parlant avec de vrais locuteurs natifs
  • Développer leur empathie en découvrant d’autres cultures
  • Créer de vraies amitiés basées sur des intérêts communs

Mais toujours avec cette règle d’or : le contact visuel réel reste indispensable pour construire une vraie relation de confiance.

Ma vision pour l’avenir : des enfants maîtres de leurs outils

Je rêve d’enfants qui :

  • Savent discerner ce qui est bon pour eux dans le numérique, comme pour n’importe quoi d’autre (la lecture, le sport, l’alimentation…)
  • Comprennent les mécanismes de manipulation et s’en protègent consciemment
  • Utilisent la technologie comme un levier d’émancipation plutôt que comme une échappatoire
  • Restent connectés au monde réel et aux relations humaines authentiques

Dans ma famille, j’ai plusieurs phrases clés que je répète à mes enfants : 

“Les écrans, c’est après les gens. Si tu as un copain qui t’invite à jouer dehors, tu éteins ton écran et tu y vas.”  

"Avant de faire à manger et d'être le meilleur cuisinier dans World of Warcraft, commence par te faire à manger en vrai, et je vais t'aider et faire avec toi."

Cette règle simple pose une hiérarchie claire : le virtuel ne doit jamais primer sur le réel, l’écran ne doit jamais isoler de la vraie socialisation. Mes enfants l’ont intégrée naturellement, et je les vois maintenant capable de s’auto-réguler : ils éteignent d’eux-mêmes quand une opportunité sociale se présente.

C’est exactement ce type de discernement que je veux leur transmettre : être maître de ses choix plutôt qu’esclave de ses habitudes.

Cette vision rejoint celle des experts qui appellent à “donner aux jeunes les moyens de faire des choix éclairés concernant leurs activités en ligne, en maximisant les avantages tout en réduisant autant que possible les risques”.

Conclusion : l’urgent besoin d’une révolution éducative

Le numérique est là pour durer. Nos enfants grandiront dans un monde encore plus connecté que le nôtre. Plutôt que de les en protéger par l’interdiction, éduquons-les à en devenir les maîtres.

Cela demande :

  • Une formation massive des éducateurs
  • Des espaces d’expérimentation intergénérationnels
  • Une approche critique mais non anxiogène
  • La reconnaissance que “la technologie a la capacité d’émanciper les enfants, de les libérer, parce qu’elle leur permet d’accéder plus librement et plus facilement à la connaissance”

Le numérique ne doit plus être subi, il doit être choisi, compris et maîtrisé.

En tant que parent informaticien, je m’engage dans cette voie. Et vous ?

Cet article est un appel à créer ensemble des espaces d’échange, d’expérimentation et d’apprentissage autour du numérique. Si cette vision vous parle, connectons-nous - dans le vrai monde comme dans le virtuel.

Sources et références

[1] GoStudent. “60 Statistiques sur le temps d’écran des enfants en 2025”. Disponible sur : https://www.gostudent.org/fr-fr/blog/statistiques-temps-ecran-enfants

[2] UNESCO. “Global Education Monitoring Report 2023: Technology in education - A tool on whose terms?”. Cité dans : Laboratoire Société Numérique. “Dossier Rentrée scolaire 2024 : le numérique éducatif tiraillé entre usage raisonné des écrans et appropriation de l’intelligence artificielle”. Disponible sur : https://labo.societenumerique.gouv.fr/fr/articles/dossier-rentrée-scolaire-2024-le-numérique-éducatif-tiraillé-entre-usage-raisonné-des-écrans-et-appropriation-de-lintelligence-artificielle

[3] Direction de l’information légale et administrative. “Rapport : Enfants et écrans, à la recherche du temps perdu”, avril 2024. Disponible sur : https://www.elysee.fr/admin/upload/default/0001/16/fbec6abe9d9cc1bff3043d87b9f7951e62779b09.pdf

[4] Institut national de santé publique du Québec. “Écrans et hyperconnectivité - Veille analytique, hiver 2024”. Disponible sur : https://www.inspq.qc.ca/ecrans/veille/hiver-2024

[5] Ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles. “Enfants et écrans : des risques sanitaires réels, un accompagnement nécessaire”. Disponible sur : https://sante.gouv.fr/prevention-en-sante/sante-des-populations/enfants/exposition-aux-ecrans/article/enfants-et-ecrans-des-risques-sanitaires-reels-un-accompagnement-necessaire

[6] Fédération nationale des associations de maisons d’enfants. “Rapport : ‘Enfants et écrans, à la recherche du temps perdu’”. Disponible sur : https://fname.fr/2024/05/06/rapport-enfants-et-ecrans-a-la-recherche-du-temps-perdu/

[7] Clefs Parentalité. “Rapport de la commission d’experts chargés de l’évaluation de l’impact de l’exposition des jeunes aux écrans”. Disponible sur : https://clefsparentalite-psfp.com/actualites/rapport-de-la-commission-dexperts-charges-de-levaluation-de-limpact-de-lexposition-des-jeunes-aux-ecrans

Note : Toutes les sources ont été vérifiées et consultées en septembre 2024. Les données citées proviennent d’études et rapports officiels récents (2024-2025).

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